BOURGNON tour du monde

Pour les amoureux de la voile légère:
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Re: BOURGNON tour du monde

Message par francois corsica »

Parenthèse animalière pour Yvan qui navigue dans une zone riche en faune. Une petite faim? la ligne à l'eau et immanquablement un thon où une bonite s'y accroche en moins de cinq minutes! Le paysage est monotone? ici des dauphins, là des globicéphales qui accompagnent son catamaran dans les vagues. Voilà aussi que depuis deux jours, il n'est plus en solitaire: une nuée d'oiseaux l'accompagne sur un bout de chemin. Pas farouches, ce n'était au départ que trois oiseaux qui se posaient sur son bateau, puis encore cinq, puis dix. Certains se posent sur les coques, sur les dérives, mais leur endroit préféré c'est le tangon sur lequel ils s'alignent au garde à vous. La cohabitation devient problématique quand Yvan s'endort et que l'un de ces volatile le tire brusquement de son sommeil en se posant sur lui.
D'un point de vue stratégique (météo et navigation) Yvan se prépare à s'arrêter pour un temps indéterminé. Il est parti de Djibouti avec un solide point météo sachant qu'il allait devoir prendre une fenêtre de vents favorables avant d'avoir à faire face à un coup de vent contraire. Ces dernières 48h ce sont succédé tous les signes du changement de temps: cela a commencé par une houle contraire, puis le vent portant s'est atténué avant de basculer progressivement vers le nord en passant par l'est. Les régatiers qui font les étapes en même temps qu'Yvan sur Virtual Regatta ( http://www.virtualregatta.com ) en savent quelque chose car eux aussi se retrouvent maintenant contre le vent.
Mais le signe le plus clair est venu de son baromètre qui a bien baissé, tout comme la température. Il s'est donc attaché à chercher sur ses cartes des zones d'abri suffisamment protégé et continue à progresser s'attendant à devoir s'y réfugier si le vent devient ingérable. J'avais évoqué les difficultés inhérentes à la mer Rouge et voilà qu'il s'y trouve confronté. Les côtes droites offrent peu d'abri exploitables dont certains se révèlent inaccessibles de part les coraux qui en bouchent l'entrée. Pour d'autres ce sont les zones de mouillages que les coraux obstruent (les ancres se plantent dans le sable, pas sur les coraux). Sans compter que les approches de nuit sont tout bonnement impossibles. Il préfère alors rester suffisamment au large des dangers pour ne pas s'y échouer, mais assez proche tout de même pour pouvoir rejoindre un abri au plus vite... c'est pour cela qu'il passe entre la côte et un archipel d'iles en ce moment même. Un exercice d'équilibrisme ...

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Re: BOURGNON tour du monde

Message par francois corsica »

Faire le tour du monde sur un si petit catamaran, qui plus est non-habitable, réduit forcément votre capacité à faire face aux éléments.
Dans le mauvais temps, la taille réduite de son embarcation ne joue pas en sa faveur, plus encore lorsqu'il s'agit d'un multicoque, bateau léger, que l'on qualifie volontiers de "volage".

Lorsque cette situation concerne des vents qui vous sont contraires, le paroxysme de la difficulté est vite atteint. Là avec 35 nœuds (65km/h) au près, c'est le cas . Contrairement à ce que l'on pense souvent, ce n'est pas le vent (même contraire) qui est le véritable problème car on dispose de plusieurs moyens pour minimiser son impact sur le bateau: on réduit et règle la voilure, on adapte l'angle entre le vent et le bateau en modifiant la route, on déplace des poids à bord, etc.
Le véritable danger réside dans l'effet induit par le vent: les vagues. Le marin n'a aucune prise sur l'état de la mer, aucun réglage, aucun moyen de soulager son bateau ; il subit.
Nous utilisons un langage assez précis pour designer tous les différents états que peut prendre la mer. D'abord des catégories générales allant de "mer calme" à " mer énorme" en passant par des qualificatifs plus connus "agitée", "forte", "grosse", etc. On peut aussi décrire les spécification des vagues : courtes, abruptes, cassantes, hachées, déferlantes, pyramidales ...


Alors qu'il est au large, le marin n'a pas d'échappatoire et lui comme son bateau souffrent, bringuebalés dans tous les sens, tapant dans la mer. Les efforts sur le matériel peuvent être considérables, augmenté par le moment d'inertie dû à la hauteur du mât. Son seul salut quand la mer est plus forte que les capacités de son navire réside dans la fuite. On dit d'ailleurs "partir en fuite".
Proche des côtes, dans la mesure du possible, il faut alors trouver un abri. Laisser passer la fureur, préserver le matériel, ne pas risquer l'accident ... en mer savoir s'arrêter, c'est faire preuve de sagesse, c'est laisser parler l'expérience.

Voilà les raisons qui ont poussé Yvan à aller poser l'ancre dans une anse Soudanaise. Un petit creux au sein d'une falaise l'abritant du vent, le tout défendu par un platier de corail qui le protège des vagues. Des fonds de sable pour que l'ancre s'y accroche et le voilà au mouillage. Lui ne sait pas encore combien de temps il devra y rester et il angoisse un peu de se retrouver bloquer là longtemps...
Nous, derrière nos écrans affichant cartes météo et autres champs de vagues savons que cela ne devrait pas durer, lui non.
Alors il scrute l'horizon, attendant patiemment que disparaissent les moutons...

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Re: BOURGNON tour du monde

Message par francois corsica »

Yvan ne sera pas resté à l'arrêt très longtemps. En fin d'après-midi il a levé l'ancre pour repartir, le vent étant redescendu autour des 20 nœuds. Pour la mer, cela va prendre plus de temps avant qu'elle ne se calme. L'un de ses messages juste après avoir quitté son abri faisait état de 3 à 4 m de creux, autant dire qu'il est sérieusement secoué!
Impossible de dormir, se réchauffer un plat même lyophilisé est très difficile, des vagues et des embruns balayent constamment le pont, tout y est soit solidement arrimé, soit rangé dans les coques. Certain parlent de "shaker" où encore de "machine à laver" ...
Pour limiter les risques cette nuit, il navigue sous deux ris (réduction de deux crans sur sa grand voile). Dès à présent, il va devoir rentrer dans le rythme car il se doute que cette navigation contre le vent risque de durer. Un bateau n'avance pas à la voile dans l'axe du vent, il ne peut que le serrer au maximum (autour de 50°). Vouloir faire de la route contre le vent oblige à "tirer des bord", c'est à dire d'effectuer une route en zigzag mais cela rallonge d'autant la distance tout comme le temps de navigation.
L'adage dit: "2 fois la route, 3 fois la fatigue" sans préciser s'il s'agit de celle du marin ou celle du bateau...
Concernant une commande au sujet de ses poulies de grand-voile, qu'il lui faudra changer arrivé à Suez, il nous a demander d'y rajouter une paire de vertèbres...

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Message par francois corsica »

Toujours au louvoyage (tirer des bords), le bateau souffre et quelques petits soucis techniques sont apparus. L'axe de l'un des safran a cassé, mais il l'a facilement réparé, ayant la pièce en stock à bord. Quelques petites voies d'eau se sont manifestées, environ 20l d'eau, soit deux seaux par 24h. Ce n'est pas l'intégrité de la coque qui est menacé (il ne coule pas, loin de là) mais plusieurs petits perçages mal étanchéifiés qui fuient... Il ne faut pas oublier que la voile est un sport mécanique : un voilier reste un assemblage de petites pièces fixées entre elles, alors forcément dans une mer hachée, courte, ça travaille et se desserre un peu...
Vous pouvez l'entendre en vacation audio vous en parler ici:
http://www.en-avant-toute.ch/…/journal- ... 15-04-27.h
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Re: BOURGNON tour du monde

Message par francois corsica »

On peut se demander si en mer, les bateaux ne s'attirent pas, un peu à la façon des corps célestes...
A l'aube, un peu avant la fin de l'une de ses tranches de 20 minutes de sommeil, Yvan se réveille inquiet, tous les sens en éveil. Sixième sens? une odeur, un bruit enregistré par le subconscient qui a déclenché une alarme intérieure? toujours est-il qu'un cargo se tenait devant lui, pile en route de collision à quelques centaines de mètres. Yvan a immédiatement manœuvré et la muraille métallique a quant à elle inexorablement continué sa route comme si de rien n'était, sans rien modifier. Il n'y avait pourtant aucune raison pour qu'il navigue à cet endroit, loin des routes qu'ils fréquentent habituellement au centre de la mer Rouge.
Après un tel épisode, l'esprit du marin oscille entre des émotions contradictoires: d'une part la joie "d'être passé à côté, d'avoir eu de la chance" mais aussi un fort sentiment de culpabilité d'avoir dormi pile à ce moment...
C'est deux jours après le passage du coup de vent l'ayant contraint à s'arrêter que la mer se calme enfin, devenant plus maniable. Le bateau ne lutte plus, ne tape plus dans la mer. La vitesse n'a pas vraiment augmenté pour autant, mais Yvan souffre moins et la vie à bord reprend son organisation. Yvan a des petits rituels qui jalonnent la journée: le matin, quand le temps le permet, il ralentit le bateau, ouvre les capots de coque pour ventiler et assécher l'intérieur. Un brin de toilette, puis il se change le plus rapidement possible afin de maximiser les chances de rester sec sous son ciré, ce qui est loin d'être facile à faire. Et enfin, si le temps le permet, il fait un point au sextant.
Dis comme cela, ça parait facile. Mais cela ne peut se faire que dans de bonnes conditions. Il faut voir l'astre visé sans que la couverture nuageuse ne le masque, mais il faut également ne pas bouger lors de la visée et enfin avoir un horizon "stable" et "linéaire". Et quand la mer est fortement agitée, ces deux conditions font souvent défaut...
En mer, ce sont souvent des "petits riens" qui procurent une grande joie. Pour Yvan, son bonheur du jour est d'avoir pu réaliser ses petits rituels, signe que le calme revient après la tempête...

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Message par francois corsica »

L'épisode du cargo qui l'a réveillé au petit matin aurait pu être une anecdote, un coup de "pas de chance" dont l'issue est heureuse... mais là, il ne rigole plus du tout. Dans la journée d'hier, par deux fois, englué dans des petits airs à peine suffisant pour le déhaler il lui a fallu sortir sa pagaie pour faire les quelques mètres le séparant de la catastrophe. Durant ce tour du monde, il a vécu de vraies tempêtes, retourné son bateau par 60nds de vent, s'est retrouvé à l'eau tracté par son harnais se noyant à moitié, a survécu à un naufrage sur un platier de corail en pleine nuit, s'est retrouvé exténué après des heures et des heures de près à ne pas pouvoir fermer l'œil, s'est fait différentes blessures au dos, aux mains, aux pieds, un serpent de mer venimeux s'est invité à son bord, il a eu plusieurs insolations, a souffert de la soif... tout cela il l'accepte avec philosophie car faisant partie de son aventure. Oui, il le sait, ce qu'il fait est un peu fou bien que ce soit en même temps très réfléchi. Oui, il le sait comme tout marin le sait, la mer est un environnement hostile où une simple erreur, une mauvaise évaluation, un manque d'attention peut vous coûter la vie.
Mais là, par deux fois il a vraiment eu peur, très peur. De la peur mêlée de rage et d'impuissance.
Le cargo on le voit de loin. Il arrive, on observe sa trajectoire, on évalue le risque, on prend des repères sur le bateau (gisement constant de route de collision pour les marins). Sans vent, sans moteur, on est à leur merci : impossible de changer sa trajectoire, de se dégager. Alors on s'en remet à l'autre, un marin lui aussi, un collègue... on l'appelle à la VHF (radio marine), forcément allumée, forcément écoutée ... il y a un radar à bord forcément allumé, forcément actif ... avec quelqu'un là-haut, désigné de quart, dont la seule et unique fonction est de scruter devant, d'écouter la VHF, de veiller, de parer à tout danger (fonction de veille obligatoire, régit par les règles internationales maritimes de l'OMI)
Yvan, par deux fois a tout fait pour se signaler, jusqu'à l'absurde, il a allumé son flash-light en tête de mât (pas vraiment réglementaire, mais terriblement efficace), il a hurlé dans son micro, il a donné de la corne de brume (de celles que l'on entend dans les stades), en désespoir de cause il est allé jusqu'à allumer un feu à main, rempart dérisoire face au dédain du monstre d'acier. Rien, pas une réponse, pas un signe, personne n'est même venu voir sur la passerelle extérieure si un drame s'était joué...
C'est une attitude criminelle, qui serait sévèrement sanctionnée si cela se passait sur nos routes et qui montre bien l'impunité dont jouissent ces navires: pas de preuves, pas de témoins, pas de traces et s'il le faut, un imbroglio juridique de pavillons de complaisance ...
Par deux fois hier, c'est sa pagaie dérisoire qui lui a sauvé la vie, lui permettant de parcourir la dizaine de mètres nécessaires pour échapper à une fin terrible. Ces deux cargos, qui l'ont happé dans leur vague d'étrave sont passés si près qu'il aurait pu les toucher...
Risquer sa vie alors qu'il vit sa passion ... c'est une chose qu'il accepte. La risquer à cause de l'irresponsabilité et de la bêtise de l'un de ses pairs est nettement plus révoltant.
Voilà son état d'esprit hier soir: révolté.

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Message par francois corsica »

Il y a des moments où l'aventure s'accélère ne lui laissant aucun répit. C'est aussi ça la vie en mer: les situations se succèdent constamment et il faut y faire face, s'adapter en permanence, rester pragmatique et gérer l'instant présent.
Encore remonté contre ses deux chauffards, la mer à brusquement vu Rouge. Avec à peine dix nœuds de vent, elle est passée à trente sous les rafales juste dans l'espace de temps suffisant à prendre un, puis deux, puis trois ris et d'affaler le petit foc. En une demi-heure, la danse à repris de plus belle, comme cela, sans crier gare. Après deux heures de ce régime, il tirait des bords carrés (il n'avançait plus contre le vent).
Sous pilote, avec un bateau terriblement ardent (qui cherche constamment à remonter tout seul dans le lit du vent) les effort sur l'ensemble des pièces constituant les deux gouvernails sont considérables. L'une d'elle, que l'on nomme "aiguillot de safran", s'est rompu sous la charge. C'est un rond plein, en acier inox 316 (qualité marine) de 10mm de diamètre qui est sensé résister à 10t de charge au cisaillement sur un banc de rupture. Mais la mer n'est pas un laboratoire propret où l'on soumet graduellement un matériau à la torture. Efforts, frictions, vibrations, corrosion, inclusion ... les raisons de la rupture peuvent être nombreuses.
N'ayant plus qu'un seul safran dans une mer de face et un vent très fort, il a pris le premier port présentant suffisamment d'abri pour s'y réfugier.
Il est maintenant à la recherche d'un poste à souder TIG (c'est assez courant) à moins qu'il ne change la pièce. Là encore, comme pour son premier arrêt, il ne compte pas s'éterniser...

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Message par francois corsica »

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Yvan revient sur les évènements de ces derniers jours lors de sa vacation audio que vous pouvez écouter ici:
http://www.en-avant-toute.ch/…/journal- ... 15-05-03.h
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Message par francois corsica »

Yvan est reparti cet après-midi une fois son safran réparé. Il en a profité pour vider ses coques et tout assécher ... comme elles sont constamment fermées et soumises à de forts écarts de température, la condensation fait vite des ravages...
Heureusement que les sacs étanches de son partenaire feelfree (www.feelfree.fr) font merveille !

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Message par francois corsica »

"ici c'est la guerre !" Voici comment Yvan m'a décrit le lieu ou il navigue, enfin où il se bat contre les éléments. En début de nuit, il a pénétré dans le "détroit de Gubal" qui forme le dernier goulet avant d'arriver à Suez. Il s'agit d'un long couloir de 170 milles de long (315km) pour à peine 13milles de large qui concentre les vents par un effet venturi. Ajouté à l'effet de fetch* assez long, la mer y est redoutable, plus levée et courte qu'à aucun autre endroit qu'il n'ait rencontré sur cette étape. la voilure réduite au maximum (trois ris seuls) avec 30, 35, 40 nœuds dans les rafales ont laissé des marques sur le bateau et au petit matin le bilan était lourd.
Cela a commencé par son pilote de secours qui, à force de chocs, a perdu une partie du petit compas fixé dessus. Ne tenant plus que par deux fils, l'électronique interne ayant pris l'eau, le pilote à rendu les armes obligeant Yvan à barrer tout au long de la nuit.
Ensuite, plus embêtant, c'est le trampoline** qui s'est désolidarisé d'une des coques sur plus d'un mètre, à force de subir l'assaut des vagues par en dessous. Yvan a paré au plus pressé, rafistolant l'ensemble avec de la "garcette" (du boute fin) mais toute une partie de son bateau lui est désormais interdit sous peine de passer au travers ...
Puis c'est le vît-de-mulet*** qui s'est tordu, et enfin, beaucoup plus handicapant, c'est la bôme en carbone qui s'est délaminée sur une trentaine de centimètres. Tous les tissus résinés ont cassés et, si la rupture n'est pas franche et nette, la bôme est tout de même inutilisable de la sorte, ayant perdu toute sa rigidité.
Avec l'aube, il a donc foncé sur la première plage un peu abritée pour sortir son kit de réparation de chez "patch composite" (http://www.compositepatch.com) qui équipe tous les bateaux de course. Initialement prévu pour réparer un trou dans la coque et grâce à une formule spéciale permettant le durcissement de la résine dans des conditions difficiles (humidité), il a une nouvelle fois paré au plus pressé et il a solidifié l'ensemble. Reste pour lui a espérer que tout tienne et qu'enfin, les conditions s'améliorent...


Après avoir réparé, après s’être reposé une heure, le voilà déjà reparti!

(*): le fetch est un terme de météo marine désignant la distance sur laquelle le vent souffle sans changer de direction, sans rencontrer d'obstacle. C'est l'un des trois facteurs qui détermine l'état de la mer, avec la force du vent et le temps durant lequel il souffle.
(**): Le trampoline est la toile tendue entre les coques qui sert de "plancher" pour se déplacer sur le bateau. Les petits catamarans n'ont pas de plancher rigide.
(***): le vît-de-mulet est une pièce mobile dans toutes les directions qui lie la bôme au mât.
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Message par francois corsica »

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Le moins que l'on puisse dire, c'est que la mer Rouge est versatile, car Yvan progresse bien ces dernières heures.
En attendant, voici la vacation audio où il revient sur les événements d'hier.
http://www.en-avant-toute.ch/page/journ ... 05-05.html
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Re: BOURGNON tour du monde

Message par francois corsica »

Yvan est arrivé à 14h40 à Suez après 17jours et 23h de mer. Il peut enfin souffler et retrouver le monde des terriens... Administration douanière, immigration, autorités du canal ... c'est un autre parcours du combattant qui s'annonce...
Des images et vidéo de sa traversée seront en ligne sous peu.

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Re: BOURGNON tour du monde

Message par francois corsica »

Ma traversée de la mer Rouge, par Yvan Bourgnon:

C'est avec une centaine de petits bateaux accompagnateurs que je quitte Djibouti : un départ digne de course au large. Dans la première nuit, les Coast-guards qui m'ont abordé m'ont réveillé en sursaut, fausse alerte, ce n'étais pas des pirates, ils souhaitaient juste des cigarettes...
J'ai profité à fond des vents favorables qui m'ont porté les 3 premiers jours, tout en pêchant pour me régaler de bonites. Mais je comprends bien vite que cette mer n'est Rouge que parce que les hommes y laissent de leur sang pour s'en affranchir, même si la palette des rouges qu'elle offre au coucher du soleil est un spectacle unique.
Ce fût l'étape la plus rude depuis le début de mon tour du monde. Ici tout est réuni pour me mettre à l'épreuve avec en premier lieu des vents contraires sur 1500km qui ont soufflé régulièrement à 40 nœuds, des courants également contraires, des vagues courtes qui m'ont donné l'impression que mon petit catamaran Atlantis Télévision allait se désintégrer dans chaque creux au rythme d'un millier de vagues par jour. Je ne peux que remercier le chantier Shoreteam (http://www.shoreteam.org) d'avoir construit des coques indestructibles et Forward Sailing ( http://www.forward-sailing.fr ) de solides voiles qui ont pourtant été sévèrement maltraitées ...
Il y a eu également les récifs, certes paradisiaques, mais effrayants tant ils sont nombreux. Mais le pire ce sont ces centaines de cargos croisés, fruit d'une société de consommation à outrance, qui ont envahis ce petit paradis. Le soucis c'est qu'ils fonctionnent pour certains à coup de dégazages, et pour d'autres, par le non respect des priorités. A trois reprises, j'ai vu ma dernière heure arriver! En l'absence de vent, je me suis senti impuissant devant ces monstres, devant ce qui aurait pu tourner à la tragédie. Je suis très fâché et je ne veux plus voir ces murs de rouille me friser les moustaches ainsi.
Répondez à la radio, messieurs les capitaines! Pour ma part, je n'ai reçu aucune réponse sur les 25 cargos contactés alors que nous étions en route de collision.
A l'arrivée à Suez, j'ai le profond sentiment d'avoir été chercher loin des ressources, notamment pour pouvoir rester 72h sans dormir, pour pouvoir continuer à manœuvrer un bateau ayant subit de nombreux dégâts: plus de bôme (fissurée), plus de palan de grand-voile (cassé hier soir), l'arrachage du trampoline de la coque, les deux pilotes hors-service...
Hier matin, j'ai soudainement été pris d'une hallucination étrange: depuis plusieurs milles je visais une plateforme pétrolière persuadé que c'était ma maison et que j'allais enfin pouvoir dormir...
Mais il me faut continuer... Au programme: peu de répit, trois jours de bricolage et de formalités pour le passage du canal de Suez qui devrait avoir lieu en début de semaine prochaine ...

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Re: BOURGNON tour du monde

Message par francois corsica »

Yvan Bourgnon

9 mai, 17:48 · Modifié · .


Franz Kafka aurait-il pris sa retraite en Égypte?
Quand j'écrivais "Il peut enfin souffler et retrouver le monde des terriens... Administration douanière, immigration, autorités du canal ... c'est un autre parcours du combattant qui s'annonce..." j'étais bien en dessous de la vérité...
Yvan est tout d'abord resté bloqué par les services de sécurité du canal, particulièrement sur les dents avec le risque terroriste. N'ayant pas de moteur, les autorités ont refusé qu'il entre dans le canal pour faire les 500m qui le séparaient des pontons dédiés à la plaisance, l'obligeant à mouiller devant la digue dans une zone très peu adaptée. Il y est resté .... 24h dormant sur son banc la nuit venue, sans même avoir le droit de débarquer alors qu'il était déjà en règle vis-à-vis des autorités Égyptiennes (clearance et immigration) bien que ce ne soit pas reconnu par celles du canal. C'est au mouillage que se sont succédés les différents agents, mandataires obligatoires sans lesquels aucune relation avec le canal ne peut débuter. Les tarifs varient du simple au ..... sans limite ! en fait, c'est à la tête du client plus qu'autres choses!
Un faux agent s'est même glissé là, a proposé une offre alléchante et en a profité pour subtiliser les papiers du bateau !! la police l'a retrouvé à terre et les papiers ont miraculeusement refait surface entres les mains d'un ... agent. Ayant finalement fait affaire avec l'un d'entre eux, il a fallut payer 150$ pour que les papiers puissent simplement changer de bureau! Sans compter les agents lésés qui depuis tentent d'interférer avec l'administration pour lui mettre des bâtons dans les roues! (pardon, dans les dérives)
Un agent officiellement défini, Yvan a enfin pu s'atteler au déplacement de son catamaran depuis le mouillage qui lui avait été assigné, jusqu'aux pontons de la marina. Les 500 premiers mètres sur le canal resteront certainement gravés à vie dans le marbre de son aventure. Toujours interdit de descente à terre, il lui a tout d'abord fallu louer un moteur hors-bord (à un prix bien sûr exorbitant), l'installer à bord (il lui a fallu faire une demande d'autorisation et payer rien que pour avoir ce droit), le réparer car il ne démarrait pas, puis enfin passer le contrôle technique validant l'installation... Un gradé d'une administration obscure est donc monté à bord après s'être fait attendre deux bonnes heures. D'entrée, ce gradé a décrété qu'Yvan n'aurait aucun droit de piloter l'engin, seul l'agent y étant autorisé. Puis s’ensuivit une batterie de questions frisant l'absurde: pourquoi le moteur n'est pas installé dans l'axe du bateau? pourquoi n'y avait-il pas de moteur avant d'arriver au canal? pourquoi n'y a t'il pas de volant sur cette embarcation? Bref, Yvan ne rentrant visiblement pas dans les cases, l'agent s'est montré très soupçonneux...
Le sésame délivré par ce gradé étant tout de même spécialement important, Yvan a déployé des trésors de charme et de diplomatie afin de l'obtenir. Au final, rassuré, le fonctionnaire finit par donner l'ordre d'y aller. Le moteur démarré, l'agent aux manettes, Yvan remonte le mouillage et au moment adéquat, indique que tout est paré, libre, que l'ancre est chassée. Sur ce, pour une raison inconnue, l'agent écrase la manette des gaz à fond, le moteur rugit, délivre toute sa poussée ... se décroche de la chaise sur laquelle il est monté, décrit un arc de cercle et fini à 1m sous la surface de l'eau ! et encore, c'est uniquement parce qu'Yvan, en bon marin avait pris la précaution de le fixer avec un boute de sécurité, sinon, il aurait fini au fond ...
Panique à bord, cris, gesticulations, ordres et contre-ordres, en Égyptien, en Anglais ... et durant ce temps "la Louloutte" dérivait tranquillement, juste avec le courant rentrant toute seule dans le canal...
C'est ainsi, comme le radeau de la méduse, qu'elle arriva toute seule dans la marina, fatiguée des tractations humaines. Même les badauds assistant à la scène ne pouvaient s'empêcher d'en rire, et Yvan avait lui même toute les peines du monde à retenir un rire qui aurait d'autant plus plongé dans l'embarras agents et fonctionnaires ... toujours détenteurs du fameux sésame.
Le seul mouvement du catamaran a pris en soi plus de 6h de tractations en tous genre. Et si le tarif du passage du canal est d'ores et déjà négocié, les bakchichs s'élèvent déjà à plus du double de cette somme ...
Il faut dire que Suez est une ville ... vide, loin de toute économie touristique. Et depuis les évènements de piraterie dans le golfe d'Aden, les Printemps Arabes et l'instabilité générale de tout le Moyen-Orient, les voiliers de plaisance passent désormais par le canal au rythme d'un tous les mois... la manne de devises étrangères s'est tarie et les rares qui s'y aventurent encore sont alors des proies de choix.
Et son parcours ne fait que commencer! Il lui reste à trouver un moteur sérieux pour faire le trajet du canal, à trouver un tour travaillant l'inox pour réparer le vît-de-mulet (le seul tour de la région se trouve à plus de 50km de la ville) et il y aura encore de nombreuses embûches administratives...

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Re: BOURGNON tour du monde

Message par francois corsica »

Les choses avancent pour Yvan et il devrait normalement commencer à franchir le canal en ce moment même, la sortie étant prévue dès mardi 12 mai au soir si tout se déroule bien.
Le temps de faire tous les pleins de vivres, d'eau douce, et il devrait s'élancer à travers la Méditerranée dans la foulée.
En attendant, voici quelques photos qui reviennent sur ses soucis techniques qui ont marqué son bateau lors du dernier tiers de la mer Rouge. La première présente la réparation qui a été possible grâce au kit de "Composite patch" (http://www.compositepatch.com) où l'on voit bien le carbone solidifiant l'accroche du palan de grand-voile sur la bôme. La seconde photo vous montre l'autre extrémité de la bôme, le vît-de-mulet tordu, à l'endroit où la bôme se fixe sur le mât.
Le simple fait que la bôme, dont le rôle est à la fois de maintenir tendue la grand-voile, mais aussi de transmettre une partie de la poussée vélique (de ce qui a trait au vent) sur le bateau, ait autant souffert montre bien la quantité d'énergie que cette petite "louloutte 2" a dû subir pour ramener son marin à destination.
La troisième photo montre le soucis du trampoline qui se détachait, obligeant Yvan à s'y appuyer le moins possible pour ne pas passer à travers...

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